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Actualités

Pour moi, l’art de conter…

Entretien avec Hassan El Gueretly, directeur artistique de la compagnie El Warsha

Hassan ElGueretly © Nabil Boutros

Comment et quand la compagnie El Warsha s’est elle intéressée au conte ?

La compagnie El Warsha a commencé à travailler sur la culture populaire et sur le conte en 1992. Auparavant, nous faisions des adaptations de textes occidentaux, car le théâtre égyptien étant un avatar du théâtre occidental, nous avions constitué un groupe pour choisir dans de le patrimoine occidental ce qui nous intéressait et chercher un théâtre qui nous ressemblerait intimement. Ainsi, le théâtre occidental est devenu pour nous une source alors que c’était un modèle.

Puis nous sommes allés découvrir nos propres sources et les sources d’autres cultures, et le conte était central dans cette démarche. Le mot « conte » en français, je crois, ne traduit pas très bien ce que l’on fait. Nous avons commencé par des contes du Delta, publiés par un homme de grand talent qui a collecté des contes traditionnels  dans la langue vernaculaire. Ouvrage rare à côté des nombreux livres où ces contes sont repris dans une langue littéraire.

A la suite de cela, nous avons exploré les récits ordinaires de la vie quotidienne, puis on a travaillé sur la guerre, sur les révolutions, et, en 2013, la compagnie a créé un spectacle fait de cinq témoignages, qui a été présenté en Egypte et en France, notamment. Il s’appelle « Angles », ce sont cinq angles, points de vue de cinq personnages complètement différents dans la révolution, et dans lesquels il y a des histoires de martyrs…

Quelle place a Shéhérazade et le conte des mille et une nuits ?

Schéhérazade, celle qui a donné raison aux femmes, qui a pu sauver sa race, etc., est un thème féministe tout à fait justifiable et honorable. Mais personnellement, je crois que Shéhérazade, représente une chose beaucoup plus profonde, plus générale, pour les hommes, pour les femmes, pour tout le monde. Shéhérazade, c’est raconter et survivre, survivre en racontant, lcommunication. Cette communication, je ne parle pas de la « com’ », est pour les Égyptiens, la valeur la plus importante dans la vie. Et donc le conte est un prétexte pour échanger, c’est la seule façon pour vraiment survivre ensemble.

En permanence, les Égyptiens te racontent et tu découvres très vite que raconter, c’est… comme un commerce mais où il n’y a pas d’argent, c’est un genre de troc qui fait que tu es dans un tissu, depuis le matin quand tu sors de chez toi, jusqu’au soir. Tu n’es jamais seul, même s’il y a des moments où tu as envie de l’être un peu bien sûr, mais tu n’es pas délaissé, on te laisse pas seul dans le sens positif.

Y a t’il une différence d’approche entre les traditions européennes et arabes en matière de conte ?

Spectacle el warsha © Roger Anis

Un élément de réponse en forme d’anecdote: on m’a posé une question semblable, une fois, pendant le Ramadan, alors que nous faisions la collecte de la Geste Hilâlienne, cette grande épopée arabe qu’El Warsha a créée et beaucoup jouée fin des années 90.  Nous étions dans un hôtel surplombant la vallée du Nil, à décider avec l’équipe  ce qu’on allait faire, sans savoir que nous allions faire avec les contes. Et je reçois un coup de fil de Suède. Une journaliste brillante, superbe qui a fait un beau travail sur la Palestine et l’Égypte. Elle me dit : « Comme c’est le Ramadan et que je fais un programme sur les sept péchés capitaux, je voudrais que tu me parles de la gourmandise. » « Mais, dis-je, la gourmandise, c’est pas un péché capital ici ! Certes, tous les Égyptiens ne mangent pas à leur faim tous les jours, mais la gourmandise n’est pas du tout un péché capital. » Alors elle me dit : « Qu’est-ce qui constitue alors un péché capital en Égypte? ». C’était une bonne question. Je lui ai demandé si elle pouvait me donner 24 heures de réflexion et j’ai regardé dans tous les autres péchés. Comme Dieu est grand et que nos péchés sont forcément petits, c’est difficile de trouver un péché capital en Egypte. La seule chose à laquelle j’ai pensé et que je continue à penser est que, le seul truc que les Égyptiens considèrent comme un péché capital, c’est le désespoir,  c’est de perdre confiance en la vie. On pardonne tout sauf de ne pas croire en Dieu, mais en réalité c’est plus la vie qu’il s’agit, avoir confiance en la vie. C’est dans ce contexte-là que se déroule cette histoire de l’échange et de la survie en se racontant. Les conteurs chez nous existent toujours et l’on n’a pas besoin de les faire exister par nostalgie ni en jouant aux conteurs.

Quelle différence entre conte traditionnel ou contemporain et témoignage ? Et est-ce que le travail de collecte de témoignages qui se sont transformés en récits dans le dernier spectacle a à voir avec le conte? Est-ce que c’est différent ?

Pour moi, ça n’a pas été du tout différent car dès le départ nous n’avons pas travaillé dans l’idée d’un monde révolu qu’il faudrait refaire vivre par nostalgie. Depuis trace travail sur les contes du Delta, je n’ai pas du tout l’impression d’avoir changé de registre, parce ce que je crois que raconter, c’est d’abord se raconter. Nous n’avons pas cessé de se raconter au travers de tous les « mensonges » possibles et imaginables. Nous avons toujours raconté des histoires qui nous appartiennent ou qui appartiennent à d’autres, c’est le même processus jusqu’à présent. Aujourd’hui, nous approfondissons surtout la façon de raconter. Comment ? Y a t’il a une technique ? Des façons ? Quel rapport au jeu d’acteur ? En quoi l’art de se raconter, de raconter fait partie de la panoplie de l’acteur ? En quoi c’est important ? Ce sont les questions que je me suis posé et c’est naturellement que nous sommes passé du traditionnel au quotidien, aux expériences quotidiennes, à la guerre, à la révolution.

Les chants traditionnels ont-ils la même fonction que les contes, celle de transmission de culture,… ?

El Warsha a travaillé sur toutes sortes de chants. Une partie importante des chants en Égypte sont des chants épiques ou des ballades narratives qui sont des contes relativement longs et qui sont chantés. Autre genre, les chants populaires, la plupart de ceux que nous avons faits ne sont pas des chants narratifs, mais parfois personnels, parfois traditionnels. Nous avons même chanté des chansons de variété d’une qualité extraordinaire qui a disparu, des chanteurs de province pas très connus… on a cherché toutes ces sources populaires sans distinction… A chaque moment de recherche correspondait un univers de conte et de chanson. Mais nous ne sommes  pas spécialisé conte ou chanson, nous faisons du théâtre, et dans cette recherche théâtrale, on amasse tout ce qui touche à cette recherche sur la vie quotidienne, sur l’épopée de Beni Hilal, sur la guerre, sur les révolutions, et petit à petit se profile un projet théâtral. Un spectacle de théâtre d’El Warsha comprend donc souvent de la musique, du chant. El en parallèle, nous produisons des soirées cabaret qui précède le spectacle et qui prépare les suivants.