Lors de la rencontre “des bulles et des fouilles”, deux artistes, invités à participer aux rencontres, livrent leur vision de l’édition graphique en Egypte. Si leurs influences graphiques sont multiples et leurs styles différents, tous deux reconnaissent l’influence de certains artistes égyptiens des années 1970 et remarquent un certain tournant éditorial en Égypte, au milieu des années 2000.
Shennawy a étudié l’art avec une spécialité pour la publicité. Passionné de BD, il fonde en 2010 la revue « Toktok », avec un collectif d’artistes. Graphiste, Sharif El Sayed travaille à l’Académie Arabe des Sciences et Technologies d’Alexandrie en tant que directeur artistique. Sa création artistique s’oriente vers le public jeunesse à travers l’illustration d’albums et la création numérique. Il a ainsi illustré plus de 60 albums, a réalisé un dessin animé « Zlezla » et a fondé le festival « Khayal ».
Shenawwy et la bande dessinée en Égypte
MEDiakitab : A l’origine de Toktok, votre collectif souhaitait proposer des BD pour adultes, as-tu d’autres exemples de ce type de publication en Egypte ?
Shenawwy : En Egypte, peu de livres illustrés sont destinés à un public adulte. Les livres contenant des images, que ce soit sous forme de BD ou de textes illustrés, sont assimilés à un genre pour enfants. Mais nous avons été inspirés par des précurseurs. Dans les années 70, il existait des dessinateurs passionnés de bande dessinée qui avaient étudié, pour la plupart, soit en France, soit en Europe. Ils ont fondé des magazines pour enfants, publié des albums ou des bandes dessinées mais toujours réservées aux enfants. Parmi eux, certains ont fait des recherches au niveau graphique et visuel, comme Moha el din al-Abbad.
MEDiakitab : Cette année justement à Marseille, il y eu une exposition de fotokino autour des illustrateurs pour enfants du monde arabe, qui incluait une partie sur al-Abbad : « Regards sur 40 ans de littérature jeunesse« .
Shenawwy : Oui, il y avait aussi Walid Taher, qui est venu pour l’occasion. Dans notre collectif, nous avons beaucoup d’estime pour al-Abbad, ses remarques et ses recherches graphiques. Il a voulu retrouver des codes graphiques égyptiens traditionnels. Il ne voulait pas se contenter de copier le style européen, mais voulait trouver un style original. Ensuite, dans les années 90 il y a aussi eu une publication qui s’appelait Flash. C’était la seule publication écrite en dialecte égyptien, à l’époque. Elle a eu beaucoup de succès dans tout le monde arabe. La maison d’édition aussi était très bien diffusée dans tout le monde arabe. Du Maroc au Yémen, tout le monde la connaissait. Puis ça s’est arrêté au début des années 2000.
MEDiakitab : La revue Flash était elle aussi destinée aux enfants ?
Shenawwy : Cette revue s’adressait plutôt aux jeunes, lycéens et étudiants. Pour ma part, je l’ai lue même après avoir quitté l’université. Elle mettait en scène des histoires réalistes à caractère social. Un des personnages centraux était celui d’un squelette qui représentait le citoyen ou salarié égyptien moyen, qui n’a rien à manger, rien à dépenser… Mais le magazine a disparu à la fin des années 1990 et il a laissé un vide. C’est pourquoi nous avons eu envie de poursuivre ce chemin de l’édition BD.
MEDiakitab : La parution de Toktok est donc venue combler un vide ?
Shenawwy : Pas tout à fait. En 2006, un auteur égyptien a publié un album de bande dessinée destiné aux adultes : « Metro ». Cette histoire contenait des insultes et des propos politiques. Mais une semaine après sa publication, l’album a été retiré de la vente par la police. Suite à cet épisode, le mot comics, bande dessinée, en arabe qisas mousawara est peu à peu sorti de l’oubli et a retrouvé sa place dans l’imaginaire collectif. La première édition de toktok est sortie en janvier 2011, 2 semaines avant les évènements révolutionnaires qui ont fait émerger une sorte de vague graphique. Les rues sont devenues des espaces d’expression avec beaucoup de graffitis et de pochoirs. Il y avait un regain d’intérêt des jeunes pour tout ce qui était visuel. Beaucoup de créations graphiques, de reportages radio ou vidéo diffusés sur Internet traitaient de la vie quotidienne des gens. Il y avait un vrai besoin de création indépendante. Ce mouvement a favorisé notre projet. Dès le lancement de la première édition, on a vendu les 500 exemplaires en 2-3 heures. Il y avait beaucoup de monde dans la salle d’exposition. Ça nous a encouragé et nous avons compris que notre projet n’était pas qu’une chimère. Les thèmes que l’on traitait ont eu un fort écho chez les gens. On racontait des histoires de la rue, de la vie quotidienne, de la vie sociale. Puis, le deuxième numéro a été entièrement consacré à des thèmes politiques.
Sharif el Sayed et l’illustration de livres jeunesse
MEDiakitab : Comment ton parcours en tant qu’illustrateur de livres pour enfants a t’il évolué dans le contexte égyptien ?
Sharif El Sayed : J’illustre des livres depuis 1996. Au début, c’était mon métier, donc j’ai beaucoup produit. Mais à partir de 2001-2002, je me suis aussi tourné vers les nouveaux médias et mon rythme de production est passé à un livre tous les deux ans. Au début, mon style ressemblait à celui des BD, en 12 ou 14 pages. C’était en partie lié au marché égyptien. Parfois, nous avions des problèmes d’impression et donc la qualité n’était pas très bonne. Ils étaient colorés par les ordinateurs avec de l’encre épaisse. Les maisons d’éditions favorisaient la présence de lignes noires visibles car ça facilitait le travail d’impression. Puis, il y a eu une sorte de tournant dans l’édition jeunesse, au milieu des années 2000. Ce boom trouve sa source dans les années 1990. A cette époque, beaucoup d’éditeurs égyptiens sont allés participer à des ateliers en Allemagne, dans la foire du livre de Francfort. Puis autour de 2005 certains financeurs comme Anna Lindh, l’institut Goethe ou des concours nationaux ont permis de soutenir cette production. De nombreux illustrateurs et écrivains égyptiens pour la jeunesse ont bénéficié d’une reconnaissance, les maisons d’édition se sont développées et la qualité d’impression s’est améliorée. La compétition entre les maisons d’éditions nationales, égyptiennes et les maisons d’édition du monde arabe a poussé les éditeurs à chercher de nouvelles idées, de nouvelles techniques… C’était très intéressant. Mon dernier livre devrait être publié au début de l’année prochaine. Je l’ai illustré pendant la Révolution. Il traite du caractère égyptien, le fait de se plaindre, de critiquer les gens sans voir leurs côtés positifs. C’est un travail d’équipe avec mon amie Kohinour qui écrit l’histoire.