Fin 2013, la Ville de Marseille (Musée d’archéologie méditerranéenne de Marseille, la Direction des Relations Internationales et Européenne de la ville de Marseille) et l’association MEDiakitab accueillaient des historiens, archéologues, auteurs et dessinateurs pour partager et s’interroger sur les liens féconds qui peuvent se tisser entre fiction et histoire, imaginaire et patrimoine, dessin et archéologie, BD et multimédia. Les intervenants venaient de France, du Liban, d’Égypte, de Bosnie-Herzégovine.
Une exposition « la BD s’invite au musée », installée dans les collections permanente du MAM à la Vieille Charité a accueilli le public du 15 septembre au 15 décembre, en partenariat avec le programme Averroès Junior pour l’implication des jeunes scolaires et collégiens. L’exposition se poursuivait avec des planches d’Alix à Massalia installée au Musée d’Histoire de Marseille et une présentation d’albums témoignant des liens entre bande dessinée et patrimoine dans le département BD de la bibliothèque de l’Alcazar
Dans ce cadre, pour explorer à la richesse de cette thématique, La Ville de Marseille et l’association MEDiakitab, organisaient 2 journées de rencontres publiques, des échanges professionnels et des signatures d’albums avec les auteurs et dessinateurs, les 22 et 23 novembre.
Voici un bref aperçu des démarches de quelques uns des auteurs et artistes invités.
Du désir de partager et faire vivre l’histoire au recours à l’histoire de mondes disparus pour stimuler l’imaginaire, les motivations des auteurs et illustrateurs qui font appel à l’archéologie sont diverses. Les styles qu’ils empruntent vont du documentaire, à la fiction en passant par la fiction documentaire. La recherche d’authenticité historique peut varier d’une attention rigoureuse aux détails du décor, à la fiction la plus farfelue qui ose anachronismes et syncrétismes.
Pierre Favier, assistant de conservation des bibliothèques de Marseille, a lancé la journée du 23 novembre par une analyse du traitement fictionnel iconographique de l’archéologie à travers le support BD. A travers de multiples exemples illustrés, il met en évidence l’évolution de la représentation de l’archéologie. Au départ, l’archéologie est utilisée comme simple décor dans lequel évolue le personnage, et s’accompagne d’un discours pédagogique, comme chez Jacobs. Progressivement le décor archéologique va devenir acteur, avec une approche anthropologique comme chez « Alix ». Il prend l’exemple de la BD Néandertal, dans laquelle : “Le héros, c’est la pierre !”. Certaines BD mettent aussi en scène l’archéologue comme un héros. Puis la BD s’affranchit de la contrainte de la vraisemblance pour proposer des récits imaginaires qui s’inspirent de l’archéologie comme prétexte fictionnel, par exemple avec Abraham Merritt, à Lovecraft ou Conan Doyle. Finalement, le support archéologique prend le dessus. Réfléchir sur le passé incite aussi à s’interroger sur le futur. D’où la mise en scène d’un futur apocalyptique, dans lequel l’homme a disparu et n’a laissé que des vestiges.
Puis des archéologues ont témoigné de leur collaboration avec des auteurs et dessinateurs de BD. Manuel Moliner, a expliqué combien l’album « Alix à Massalia » s’est nourri d’un travail de reconstitution à partir de vestiges de fouilles et des récits de l’époque, mais qui laisse au dessinateur la liberté de puiser dans son imagination les détails pour compléter les nombreux vides. Dominique Garcia a montré que sa collaboration à « l’histoire de Provence » consistait notamment à remettre en question les stéréotypes associés à l’antiquité : cyprès florentins des temples, moustaches de Gaulois, tout en concédant des arrangements avec la réalité pour des raisons fictionnelles. Gilbert Buti, historien, a aussi témoigné de sa collaboration avec JM Cuzin et d’autres chercheurs de la MMSH pour écrire une « Histoire de Marseille ».
Alain Charron, égyptologue et Gilles Kraemer, journaliste, ont ensuite présenté la façon dont la bande dessinée s’est nourrie de l’égyptologie, à travers l’illustration de nombreux exemples. Alain Charron remarque par exemple que 90 % des BD se situent durant 2 périodes de l’Egypte antique : le nouvel empire et la période de Cléopâtre. Le métier d’archéologue est souvent idéalisé, pour susciter le rêve chez le lecteur. A la source de la vocation de nombreux égyptologues, on retrouve ainsi la lecture des albums de Jacobs. De nombreux albums mêlent ainsi détails historiques avec un imaginaire fantaisiste qui permet l’évasion.
Pour Gilles Kraemer aussi l’influence de l’univers BD a été fort dans son intérêt pour l’histoire et l’archéologie. D’où son personnage « Omar le Chéri », un journaliste qui mène des enquêtes archéologiques. Créé il y a plus de 20 ans durant un service de coopération au journal « al Ahram hebdo », ce personnage a servi de support pour inciter des jeunes Egyptiens à emprunter la plume de journaliste. Encore aujourd’hui, ce personnage sert d’emblème à la conduite d’ateliers d’écriture journalistique, dans divers pays de Méditerranée. L’égyptomania n’a pas cessé d’inspirer petits et grands.
Alain Genot, archéologue au Musée Arles antique et Laurent Sieurac, dessinateur co-scénaristes de la série « Arelate », ont expliqué que la naissance de leur projet est née d’un constat de décalage entre les représentations les plus communes de l’antiquité (mise en scènes de grands personnages, scènes de combats de gladiateurs… ) et la réalité des fouilles archéologiques qui découvrent pour l’essentiel des vestiges de vie quotidienne de personnes ordinaires. D’où le désir de produire une BD, non pas comme une tentative de mise en scène de l’histoire ou de grands personnages, mais comme une fiction, dont le contexte est historique avec l’objectif de placer tous ces personnages dans des contextes de vie quotidienne. Le but était d’utiliser des objets issus de fouilles et de les remettre en situation, tout en évitant la lourdeur de propos pédagogiques. Ainsi, la fiction peut se lire indépendamment du dossier pédagogique, placé en fin d’album.