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Actualités

Parcours d’une conteuse en Algérie

Rencontre avec Djamila Hamitou

Djamila Hamitou, qui êtes vous ?

Heure du conte © Mediakitab

Mon nom vient probablement de la tribu des Hamadiths, celle des premiers arabes arrivés en Algérie. Lors de la défaite, face aux Berbères menés par la Kahina, une partie de la tribu est descendu vers le Sud, une autre s’est installée en Kabylie, c’est la famille des Beni Abbes. J’ai la chance de porter une double culture : arabe par ma mère, originaire deTiaret, la région des hauts plateaux d’Algérie (en lien avec la Zaouïa des Issawa), berbère par mon père, de petite Kabylie. Il était aussi d’obédience soufie. J’ai vécu cette double appartenance comme une grande richesse et une source de liberté.

De mon enfance à Tiaret, je me souviens de mes escapades dans les souks, et des heures passées, captivée par les paroles des Gouels, les diseurs publics. J’allais aussi voir les fakirs.  Aujourd’hui, ces personnages ont disparu de la place publique en Algérie.

Les mots berçait aussi mes soirées, lorsque que m’asseyais sur les genoux de mon père.  Il exerçait la profession de brachmi, cet artisan qui tisse la cordelette des burnous et des djellabas. Il rythmait son travail de contes et chansons de Kabylie. C’est   ainsi que je devenais conteuse sans le savoir.

Quelle a été votre formation ?

Dans les années 1970 en Algérie, ma formation s’est faite autant par mon engagement dans des organisations politiques que sur les bancs de l’université.

Dès le début de l’adolescence, je suis devenue une jeune fille cloîtrée, mais grâce à la complicité de ma mère, je m’échappais en cachette en bibliothèque et dans une organisation de jeunes (la JFLN, devenue UNJA). A cette époque, j’ai reçu l’influence de professeurs coopérants français, en majorité des soixante-huitards. C’est autour de mes 15 ans, que j’ai lu Simone de Beauvoir, Sartre, les frères Karamazov, Anna Karénine, Soljenitsyne, et écouté des chansons à texte (Brassens, Ferrat, Brel, Léo Ferré).

C’est Oran qui m’a libérée. J’ai alors rejoint le PAGS, parti avant garde socialiste, c’est à dire le parti communiste algérien, qui est devenue ma famille d’adoption et avec laquelle j’ai longtemps milité. Mais face à des prises de positionque je jugeais un peu trop strictes pour mon tempérament de femme libre  , je me suis retiré du PAGS. Je l’ai rejoint de nouveau  à la période du terrorisme, car il était nécessaire de résister. J’ai eu ensuite la chance de rencontrer le mouvement gauchiste où j’ai rencontré mon mari. C’est lui qui m’a ouvert l’esprit au plaisir de chanter, de danser et de voyager. Nous avons eu trois enfants. Mon aîné, qui est décédé jeune en 2002, était particulièrement sensible à l’univers merveilleux des histoires que je leur racontais. Je suis ensuite devenue enseignante des sciences de la mer à un public de jeunes et de professionnels. C’est alors que je me suis rendue compte de ma capacité à « obliger l’écoute ».

Comment êtes-vous devenue membre du Petit Lecteur ?

L’heure du conte © MEDiaKitab

Les membres fondateurs du Petit Lecteurs étaient mes amis de la fac. Avec eux, j’avais connu le mouvement étudiant. J’y amenais mes enfants. Pendant la décennie noire, j’animais des ateliers au Petit Lecteur.

En 2005, ZoubidaKouti m’a demandé de devenir chef de projet du premier festival du conte, qui durait 10 jours. C’est dans ce cadre que Jorus Mabiala conteur congolais a  animé des ateliers de formation au conte, avec l’Institut français. A partir de là, j’ai commencé à conter en public, d’abord dans les écoles ou au Petit lecteur. Il y avait de la peur. Belle famille, grands propriétaires fonciers.

Le festival est devenu l’activité phare du Petit Lecteur, et c’est le seul festival d’Algérie exclusivement dédié au conte. Il existe Racont-art en Kabylie, celui de Constantine, mais ils incluent d’autres arts de la parole. A Oran, on espère trouver des personnes qui puissent le porter après nous.

Où vont vos préférences en matière de contes ?

J’ai recherché des contes liés à la mer, il y en a beaucoup. Dans la pêcherie où j’enseignais, j’avais fait la rencontre de Bachir el Madrili (Bachir le madrilène), qui était couvert de cicatrices et n’avais plus que 3 doigts. Il avait été docker et adhéré au PCA. Il avait fait la guerre d’Espagne et participé à la grève des dockers d’Oran en février 1950 qui refusaient de charger des navires en partance pour le Vietnam. Cette grève avait été fortement matée. Cette histoire qu’il m’avait confiée, je l’ai raconté en présence du Consul de France. Pour moi, il existe un lien entre l’expression d’un malaise, d’une douleur, l’écoute, et l’échange de la parole.

Quelles sont les orientations du prochain festival du conte du Petit lecteur en Mars 2016 ?

Les conteurs du festival © MEDiaKitab

Le prochain festival sera intitulé « il était une fois : voyages et migrations », afin de faire la onction entre les déplacements humains et le voyage des contes. Nous y présenteront des spectacles à part entière, par exemple « Il était une fois les langues ». Nous souhaitons aussi accentuer la place du conte dans l’espace public, ouvert à un plus large public. Il y aura ainsi une balade contée en lien avec Bel Horizon et une balade contée dans le tram.

Après le festival, nous organisons une résidence qui produira un spectacle qui sera représenté à la 11ème édition en 2017, cette activité s’inscrit dans le cadre d’un vaste projet qui sera financé par l’Union Européenne dans le cadre de l’appel « protection et valorisation du patrimoine culturel algérien » intitulé si « si le gouël m’était conté »

Les autorités publiques  sont elles favorables au Festival ?

Oui, le Festival est parrainé et inauguré à la mairie. D’autres activités du festival se feront en partenariat avec la direction de la culture, la direction de l’éducation nationale et l’Institut Français.

Comment vous choisissez les conteurs ?

Nous invitons des conteurs de Méditerranée (algériens, français, espagnols, libanais, tunisiens, palestiniens et marocains  et d’Afrique subsaharienne ; surtout des conteurs congolais mais aussi ivoiriens et burkinabé. Pour l’instant, nous ne pouvons pas payer de cachets, nous remboursons uniquement le voyage et prenons en charge tous les frais de séjour.

En quoi consiste le projet de Maison du conte du Petit lecteur ?

La maison du conte a été mise en place il y a deux ans. Cette maison doit accueillir les formations, proposer des espaces de répétitions, de représentations et accueillir toute forme d’art de la parole, y compris le slam.

Nous avons acquis un fond de contes du monde. C’est dans cette bibliothèque que les jeunes conteurs viennent élargir leur répertoire et le transmettre en arabe algérien.

Dans le cadre du projet nous mettrons en place aussi un centre de ressources qui a pour vocation d’accueillir des auteurs, des conteurs, des chercheurs, de proposer des formations sur les métiers du livre, la collecte et le partage des contes.

Quel est intérêt de faire connaître les traditions du conte d’Afrique centrale ?

Pour nous, faire connaître la richesses des cultures d’Afrique noire est d’une grande importance. D’abord parce les nombreux points de jonction entre nos traditions et celles d’Afrique noire, sont trop méconnus. Ensuite parce que dans de nombreux pays d’Afrique subsaharienne, le conte est encore présent dans les pratiques quotidiennes. Les mères chantent des comptines très éducatives aux bébés qu’elles portent sur le dos pendant les travaux.

Quel rôle souhaite jouer la Maison du conte dans la préservation du patrimoine algérien ?

En Algérie nous avons un terroir extrêmement riche, encore vivant mais menacé. Ce n’est qu’avec la généralisation de la télé dans les années 60 à Alger et dans les années 70 dans les petites villes,qu’il a décliné. Nous aimerions collecter des contes chez toute personne porteuse d’une histoire dans sa mémoire, pas seulement chez les personnes âgées : contes du terroir, des récits de vie…

Il existe un enjeu dans le fait de penser la retranscription des contes. Il s’agit de trouver la juste distance entre le respect absolu du texte tel que prononcé et l’innovation. Selon moi, certains éléments doivent être préservés comme des pépites : les proverbes, les chansons, les expressions imagées, mais la manière de les amener peut changer. On ne cherche pas seulement à promouvoir le conte, mais à promouvoir le conte en tant qu’art.

Notre projet s’intitule : « Si le Gouël m’était conté ». Même si ce métier a quasiment disparu, mais nous souhaitons ressusciter la pratique de la parole sur la place publique.