A l’occasion de sa deuxième édition, les 28 et 29 novembre 2011, le colloque a donné la parole à des spécialistes de diverses disciplines, qui sont venus apporter leurs concepts, leur analyse et leur point de vue autour d’une question dont les réalités sociales, économiques et techniques connaissent de profondes mutations : les acteurs, les supports et les pratiques de lecture numérique. L’ensemble de ces interventions sont désormais consultables sur le site de l’ARL PACA, qui a aussi diffusé la synthèse de ses neuf interventions.
Le contexte actuel
Jean-Luc Raymond, présente un état des lieux des environnements de lecture numérique (formats de fichiers, outils de lecture) et analyse la question de leur accessibilité, leur dimension pratique et de leur compatibilité.
Pierre Mounier, met en évidence les réalités diverses que recouvre le terme « d’édition numérique ». Il distingue la numérisation, de l’édition numérique qui se passe de l’imprimé, et de l’édition en réseau qui se nourrit de lectures partagée, voire d’écriture collective. La « révolution » réside dans le caractère réinscriptible (Read/Write book) du texte numérique. Ce caractère réinscriptible comporte deux dimensions : une dimension computationnelle (application au texte de la capacité de calculs informatiques), et une dimension réticulaire qui permet au texte de tisser de nombreux liens avec son environnement : intertextualité, incrustation de contenus multimédia, partage commentaires. C’est donc la structure fixe du livre qui se trouve bouleversée par l’édition numérique.
Virginie Clayssen, présente un panorama de l’édition numérique du secteur de la littérature générale, en France. Alors que le développement de l’édition numérique aux États-Unis bouleverse l’économie du livre, le contexte européen diverge, notamment en France « où les éditeurs ont essayé de développer un écosystème du livre numérique plus respectueux de la liberté du lecteur et de l’ensemble des équilibres sur lesquels le marché du livre repose ». Des plateformes de distribution numérique (numilog, e-plateforme, Eden) tentent de faire exister une circulation alternative des livres numériques hors des 4 grands acteurs mondiaux que représentent Apple, Amazon, Google et Kobo. Les nouvelles pratiques permises par l’édition numérique suscitent les initiatives de certains éditeurs qui commencent à animer des communautés de lecteurs (exemple de Red Lemonade et de Small Demons).
Pratiques de lecture, risques et opportunités
Alain Giffard, expose une critique de la lecture numérique,telle qu’elle se développe aujourd’hui. D’abord, la logique de l’attention développée par les industries de lecture détourne la pratique culturelle vers un produit marketing (exemple de la compétition industrielle que représentent les moteurs de recommandation). Ensuite, la lecture numérique entraîne des effets de distraction et de surcharge cognitive qui rend difficile l’association entre lecture et réflexion : obstacles de visibilité, de prise en compte des hyperliens et du caractère multitâche de l’environnement multimédia. La conception de la lecture comme technique de soi reste donc un enjeu fort dans la construction d’un « humanisme numérique ».
C’est l’industrialisation de la mémoire que questionne Louise Merzeau, avec le développement exponentiel du stock d’informations disponibles. Ainsi, le numérique introduit une culture de la trace qui personnalise l’accès à l’information et développe les métadonnées. Alors que l’attention devient une denrée rare, « peut être faut-il penser une industrialisation plus seulement de la mémoire, mais aussi de l’oubli ».
Olivier Donnat, vient nuancer le lien entre « révolution numérique » et les transformations des pratiques de lecture que révèlent les enquêtes sociologiques. D’abord, ce n’est pas tant le numérique qui concurrence l’activité de lecture, sinon, une « culture de l’écran », qui se manifeste depuis les années 1980. Ensuite, il convient de relativiser le recul du livre, qui n’est pas nécessairement celui de la lecture et de l’écrit. Si le livre a perdu une partie de sa valeur symbolique, la lecture en tant qu’activité est loin de disparaître : la lecture de consultation et l’écriture électronique ont plutôt tendance à se développer.
Christian Fauré, propose sa vision de l’architecture de la lecture numérique à l’ère du cloud computing (informatique dans les nuages, ou sur Internet). Pour lui, « l’anonymat et la confidentialité du lecteur sont fortement menacés par les nouvelles pratiques de profilage ».
Aurélien Berra expose le concept « d’humanités numériques ». Si l’application des techniques de calcul au texte peut remonter à l’Iliade, le voyage de Roberto Busa aux États-Unis, en 1949 marque une étape en terme d’application de technique de calcul à la lecture de littérature classique. Aujourd’hui, les « digital humanities » correspondent donc à un vaste champs d’association, de formations universitaires qui utilisent le numérique pour réinventer les pratiques savantes.
Milad Doueihi, grand défenseur de la notion d’humanisme numérique, explique pourquoi il a choisi d’associer ces deux termes. La diffusion des pratiques numériques introduit de profondes mutations sociales et cognitives : effets de mobilités, rapport à la mémoire, statut de l’oubli, construction imaginaire de l’intelligence sont bouleversés. De même, l’écriture que constitue le code modifie notre rapport à l’écrit.