Anne Bresard est professeur documentaliste au collège Grande Bastide à Marseille. Elle exerce aussi la mission de correspondant numérique de l’établissement. Depuis 2005, elle s’est investie dans les projets d’échanges avec les collégiens alexandrins, rendus possibles par les TIC, notamment via des « clavardages » venant ponctuer différents moments de l’année et des projets.
Quelles évolutions majeures a connu l’usage du numérique dans l’exercice du métier de documentaliste ?
Cela fait 20 ans que le numérique a acquis une place essentielle dans l’École comme outil d’enseignement. Ce qui change aujourd’hui ? Tout d’abord le fonctionnement et la performance du matériel. Au départ, nous avons eu beaucoup de mal à utiliser cet outil là, avec toutes les défaillances en termes de matériel, de connexion, de réseau… Maintenant que beaucoup de choses sont réglées – nous disposons en général de suffisamment d’ordinateurs dans les CDI, la connexion est assez rapide pour charger des ressources avec des images, des vidéos – enfin je peux dire que le numérique a pris la place qu’il doit prendre dans un CDI.
Quand le numérique est apparu, j’ai pensé d’abord que cet outil allait déjà pouvoir me permettre de créer une base de données pour gérer le fond documentaire de façon beaucoup plus souple, rapide et plus simple, et en faciliter l’accès. Petit à petit, en devenant beaucoup plus présent dans la vie quotidienne aussi bien pour les parents que pour les enfants, le numérique a aussi fait irruption dans le monde éducatif, même s’il y a encore beaucoup de résistance parmi les enseignants.
En tant que documentaliste, nous avons un rôle essentiel à jouer sur deux axes très différents. Un premier axe consiste à mettre à disposition des élèves un certain nombre de ressources numériques, c’est-à-dire, à sélectionner ces ressources pour qu’elles soient adaptées et correspondent à leurs attentes en termes de contenu. Puis de faire en sorte que ces ressources là soient comprises et appropriables.
Le 2ème axe qui a pris une vraie importance depuis un ou deux ans, est celui de notre rôle, qui consiste à faire réfléchir les élèves sur leur identité numérique, sur les réseaux sociaux : quel pouvoir, statut, place, occupe-t-on ? Il faut que les élèves se positionnent et apprennent à se poser les bonnes questions.
Pendant toute une période notre rôle consistait à accompagner la recherche documentaire sur internet, en incitant les élèves à réfléchir. Par exemple, on avait des grilles de lecture des sites Web, avec des questions du type : qui a fait le site ? Quelle est sa fonction exacte ? Est-ce que vous pouvez lui faire confiance ?… Internet était considéré comme une jungle, dans laquelle il fallait évoluer en se dotant d’outils pour comprendre. Aujourd’hui, c’est quelque chose que je mets un peu plus au second plan, parce que finalement, je trouve que dans l’ensemble, on trouve des informations qui sont assez fiables. En général, les élèves se basent sur Wikipédia, une encyclopédie qui fonctionne très bien parce de plus en plus de personnes publient et qu’il existe une autorégulation. La question de la fiabilité des informations se pose un peu moins dans un cadre d’enseignement.
En revanche, le fait que de plus en plus d’élèves sont des auteurs sur internet pose la question de leur identité numérique. Ils publient, s’abonnent à des flux, ont leur propre chaîne you tube…. Là, je crois qu’on a vraiment un rôle à jouer en tant que professeur documentaliste pour qu’ils adoptent une attitude réflexive. Se poser les bonnes questions, prendre conscience de toutes les casquettes que l’on peut avoir sur Internet, faire la différence entre soi et des avatars… Cette approche leur fait aussi réaliser que les autres aussi ont des casquettes différentes, suivant où ils publient et quand ils publient. Pour l’instant cela me semble être un enjeu vraiment important. Nous y travaillons avec une professeure de français dans le cadre de « collège au cinéma ». Ils voient les films et publient sur un blog des textes en lien avec ces films.
Entre le début du collège (la 6ème) et la fin (3ème), quelles sont les notions transmises aux élèves ?
Certains documentalistes donnent une quinzaine d’heures de cours par semaine et arrivent à voir presque toutes les classes. Ils suivent une trame de progression vers le plus complexe. Par exemple en 6ème, les élèves voient le statut du document, les types, les supports. En 5ème, ils abordent ce que l’on peut faire ou ne pas faire sur Internet, les droits, les devoirs, la législation. En 4ème, ce sera plus la recherche documentaire : comment mener une recherche documentaire, avec les différentes étapes. Et en 3ème, ce sera plus la question de l’identité numérique : qu’est-ce que je publie sur Internet ? Quels types de traces je laisse quand je navigue sur Internet ?
Toutefois, il est intéressant de préciser que dans le projet actuel de socle commun de connaissances, de compétences et de culture, l’éducation aux médias et à l’information se décline par domaines et que les compétences essentielles que tout élève en fin de 3° devrait avoir acquis sont listées et précisées très clairement.
Quels types de collaborations se nouent entre les documentalistes et les autres professeurs ?
Je travaille au cas par cas, avec une fonction d’accompagnement aux enseignants quand ils ont besoin de quelque chose. J’interviens souvent autour de l’étape de la recherche documentaire pour un exposé. C’est pourquoi je travaille beaucoup avec les 3ème parce qu’en SVT, ils doivent traiter une partie du programme, seuls, et la restituer sous la forme qu’ils souhaitent, pour la rendre accessible aux autres élèves de la classe. J’ai donc travaillé avec eux pour leur enseigner des techniques de brainstorming, de recherche de mots clés, puis de présentation des résultats de cette recherche (intégrer un index, des légendes, un plan, etc).
Je travaille aussi la notion de droit d’auteur, les droits qui sont liés à une œuvre avec des classes de 3ème en collaboration avec une professeure de français sur la publication sur internet. Nous les sensibilisons aussi à la forme que prend leur publication, le graphisme, l’expression écrite, la clarté du propos… Souvent, ils sont encore dans la logique : « je travaille pour mon professeur », et nous les encourageons à passer à celle de « je vais écrire pour le plus grand nombre ».
Nous avons aussi une fonction ressource. Je suis abonnée à des listes de diffusion, comme celle
de Fidel Navamuel, qui n’est pas dans l’éducation nationale mais qui fait de la veille sur les outils collaboratifs. A chaque fois que je repère quelque chose d’intéressant, je l’intègre à ma petite bibliothèque. Souvent, ce sont des outils d’entreprise que l’on récupère dans l’éducation nationale. Par exemple, quand on a fait un brainstorming, je me suis servie d’un petit outil de post-it qu’on affichait sur un tableau numérique. On utilise parfois la carte mentale en ligne. Mais je ne pars jamais de l’outil, mais plutôt des envies et des projets des professeurs.
Certains collègues font un énorme travail de partage d’informations, par exemple ma collègue du collège Fraissinet, Florence Marcadent. Il y a beaucoup de mutualisation et dans ce domaine l’information ne manque pas. De plus en plus d’outils intuitifs et fluides s’utilisent totalement en ligne et ne demandent pas beaucoup de temps pour en comprendre l’utilisation. Padlet en est un exemple parfait ; sur cet espace visuel, les élèves peuvent publier de manière collaborative. L’intérêt d’internet, c’est le partage. C’est aussi ce que je souhaite transmettre à mes élèves, aller chercher puis donner à son tour.
Pour en savoir plus, voir :
Le blog qui a retracé pendant 9 ans les échanges entre les élèves d’Alexandrie et ceux du collège. Ce blog n’est plus alimenté. D’autres publications prennent le relai (articles sur le site du collège ou sur le portail du CDI) : http://defi-lecture.over-blog.fr/