Anne Bresard est professeur documentaliste au collège Grande Bastide à Marseille. Elle exerce aussi la mission de correspondant numérique de l’établissement. Depuis 2005, elle s’est investie dans les projets d’échanges avec les collégiens alexandrins, rendus possibles par les TIC, notamment via des « clavardages » venant ponctuer différents moments de l’année et des projets.
Depuis plusieurs années tu t’intéresses à la question de la place du numérique dans le domaine éducatif. Peux-tu nous expliquer quel est le rôle d’un référent numérique ?
Le référent numérique fait vivre le numérique dans l’établissement, au quotidien. Même si les dénominations changent, la fonction de « référent numérique » existe depuis plus de 10 ans, avec des appellations variables, « cotice », « conum »… Ce volet numérique est obligatoire dans chaque établissement.
Le « référent numérique » aide à la mise en place de la politique numérique de l’établissement. Il accompagne le chef d’établissement dans ses choix et choisit les acquisitions en termes de ressources numériques et de matériel. Il veille à la bonne diffusion des informations concernant le numérique éducatif auprès de ses collègues et leur fait éventuellement une offre de formation. Il travaille aussi avec les ATI (adjoints techniques informatiques) qui dépendent du Conseil Général. D’autre part, Il doit par ailleurs animer un « comité numérique » interne au collège avec les personnes impliquées –en premier lieu, le chef d’établissement.
De plus, quand j’assiste à des réunions de bassin, (où tous les référents numériques se retrouvent) je fais un compte-rendu de la réunion à mes collègues ainsi qu’à l’équipe de direction. À Grande Bastide, nous dépendons du bassin de Marseille Est : 3 collègues le pilotent et nous tiennent au courant des textes qui sont publiés, puis on fait un travail de mise en commun, de réflexion. Notre dernière réunion portait justement sur les missions du référent numérique. Pour l’instant, l’organisation reste assez pyramidale. Nous recevons l’information que nous transmettons à nos enseignants, au sein de l’établissement. Je ne connais pas d’exemple de projets entre référents numériques, c’est-à-dire entre établissements.
Depuis que tu occupes cette fonction, as-tu constaté des évolutions dans la façon d’intégrer l’outil numérique dans l’enseignement ?
Oui, énormément. Dès que je suis arrivée à Marseille en 2004, je me suis engagée dans ce dispositif qui me paraissait très intéressant. C’était le début du dispositif « ordina13 », une action menée par le Conseil Général des Bouches du Rhône pour réduire la fracture numérique. L’action phare consistant à donner des ordinateurs portables à tous les élèves entrant en classe de quatrième (13-14 ans). À cette époque, les questions portaient sur la place des ordinateurs portables et leur utilisation. Au début, les élèves venaient avec dans l’établissement, ce qui a posé de gros problèmes de gestion du réseau et de confidentialité des données. Au CDI, les élèves communiquaient entre eux via l’ordinateur et je ne voyais plus que des dos d’écran. Donc j’ai très vite interdit cette utilisation.
Les discussions ont aussi porté sur les ressources numériques, avec le projet « Courdécol ». Il y avait également tout ce qui concernait le matériel, les outils, tel que le TBI (Tableau Blanc interactif) en classe.
Dans un deuxième temps, on s’est beaucoup préoccupé des droits d’auteur et du droit à l’image. On s’est rendu compte que les enseignants connaissaient mal la législation et considéraient internet comme une zone de liberté absolue. Ils piochaient des informations, des images pour les diffuser, sans jamais citer leurs sources. Pour donner un exemple, en ce qui concerne les photocopies, il faut savoir que la notion « d’exception pédagogique » est le résultat d’accords entre le gouvernement et les maisons d’édition. Ce sont des accords qui ont été longs à négocier, ce droit ne s’appliquant pas aux manuels scolaires qui sont, eux, des outils d’enseignement.
Puis il y a eu la question des photos d’élèves. Le dernier Bulletin académique numérique (une fois par an, un Bulletin académique est entièrement consacré au numérique), indique qu’il est fortement déconseillé de publier des photos ou des travaux d’élèves sur un site d’établissement. Les professeurs ont beaucoup de mal à comprendre le rôle de la CNIL, et l’importance des données personnelles.
Par ailleurs, à une période, on s’est interrogé sur la notion de politique TICE (technologies de l’information et de la communication dans pour l’enseignement) dans un établissement. Comment peut-on l’impulser ? Quelle orientation générale se dégage de l’ensemble des petites actions menées ? La question qui se pose est de déterminer des priorités : est-ce qu’on choisit de doter les classes de plus de matériel informatique, est-ce qu’on va améliorer la salle informatique, racheter davantage de vidéo projecteurs ? Quels sont les enseignants qui ont besoin de matériel ? Quel matériel ? Pour faire quoi ? La politique numérique d’un établissement est quelque chose d’essentiel. Se concerter demande du temps ; il faut que les professeurs aient envie de s’impliquer dans une réflexion constructive et il faut un chef d’établissement qui soutienne cette réflexion.
Une des solutions trouvées est celle des chariots mobiles. Le constat de départ était que la salle informatique ne suffisait pas à répondre aux besoins de tout l’établissement. Or, on ne peut pas équiper chaque salle de classe d’un espace informatique. Le Conseil général a donc proposé à ceux qui en faisaient la demande de fournir des grands chariots avec 30 ou 15 ordinateurs portables (ce qui permet d’avoir 1 ordinateur portable pour 2). Notre établissement dispose de 3 chariots mobiles : un par bâtiment. C’est l’ordinateur qui va à l’élève et non plus l’élève qui va à l’ordinateur, et ce, sans trop gêner l’organisation du cours. L’ordinateur portable permet de garder du papier à côté et d’écrire. Le problème qui reste est celui de la fragilité de la machine.
As-tu l’impression qu’au niveau du rectorat tous ces sujets cruciaux d’accès à la ressource, de documentation et de pratique numérique, sont mieux intégrés ?
La priorité du Recteur d’académie durant ces dernières années était d’abord de lutter contre le décrochage scolaire, mais aussi de favoriser l’ouverture culturelle et internationale. Ces priorités académiques sont fondamentales et le numérique est l’un des outils majeurs pour les mettre en œuvre.
En janvier 2015, nous avons changé de Recteur et attendons le nouveau projet académique. Les nouveaux projets d’établissements doivent s’articuler à la fois entre les injonctions ministérielles et les spécificités académiques. Je pense que les grands axes seront repris, les fondamentaux : savoir lire, écrire, s’exprimer. La langue est le premier axe académique, puis l’utilisation et la maîtrise des TICE.
Que penses tu de l’idée d’inclure des notions de programmation dans les compétences de base : lire, écrire, compter, coder ?
Pour moi, apprendre le code n’est pas une priorité. D’abord, le code est un langage qui peut être très sophistiqué. Pour moi, la priorité doit avant tout rester l’apprentissage correct de la langue française. Il peut s’agir par exemple d’encourager les élèves à utiliser le correcteur d’orthographe.
Par ailleurs, ce qui est important c’est de comprendre une certaine philosophie de l’outil, s’interroger sur sa place dans notre civilisation, et apprendre à se poser les bonnes questions: à quoi sert-il ? Comment est-ce que l’on peut s’en servir ? En cours de techno en revanche, les élèves abordent l’arborescence, c’est-à-dire la base de l’informatique, le chemin pratiqué. Cette logique-là est intéressante.
Les rencontres de l’Orme sont un rendez-vous annuel du numérique dans l’éducation, à vocation nationale et régionale. En 2015, quels aspects t’ont paru les plus intéressants ?
Cette année, je me suis beaucoup intéressée aux activités des écoles communicantes et aux réalisations concrètes. Par exemple, à Gardanne ils ont mené un gros projet en lien avec le patrimoine, sur google maps. C’est un projet entre les écoles primaires et le collège, en partenariat avec le Conseil général et la municipalité de Gardanne. Sur la carte, ils avaient introduit des informations écrites et sonores pour indiquer des lieux historiques : ancienne gare, ancien moulin. Il y avait aussi une classe qui utilisait la timeline en cours d’histoire pour classer les évènements sur une ligne chronologique virtuelle.
Observes-tu des évolutions dans les usages chez les élèves, avec la généralisation de l’utilisation du numérique ?
Les élèves ont beaucoup de notions à appréhender. Ceux avec qui nous avons beaucoup travaillé ont compris l’importance de la notion d’auteur sur internet. En revanche, ils ont d’énormes difficultés à repérer une information sur l’écran. Il n’y a pas de mise en relief de l’information, ils sont complètement noyés et ne voient pas les onglets, l’architecture d’une page. Naviguer suppose de comprendre la structure et ensuite de se repérer en termes de contenu. Derrière l’apparence d’attractivité et de facilité, la navigation sur internet est exigeante. Internet propose des sens de lecture différents du « gauche à droite » du livre. Dans les livres, il y a une organisation de l’information, surtout dans les manuels scolaires. Internet a de l’intérêt quand on a une culture générale et que l’on se pose une question précise.
Par exemple, beaucoup n’ont pas saisi le sens de l’action « enregistrer un document ». Ils confondent le nom du document, le format de fichier et ne savent pas à quoi correspond le bureau. Pour se rendre compte de la manière dont réfléchissent les élèves, il faut passer du temps avec eux et leur poser des questions, car ils n’osent pas forcément nous demander des choses.
C’est pourquoi, aux élèves faibles, nous donnons des consignes très simples, comme celle de retrouver dans la page telle photo ou telle information précise et de l’enregistrer dans un dossier. Je mets en garde mes collègues qui demandent aux élèves de faire un exposé en cherchant sur Internet et se plaignent ensuite du « copier coller ». Quand on demande aux élèves de collecter des informations relatives à un sujet sur internet et qu’on leur demande de réécrire, ils font de la paraphrase. Pour les aider à déconstruire, j’ai ajouté des consignes intermédiaires : repérer pour chaque phrase des mots clés, supprimer le reste, organiser les idées à partir des mots sélectionnés, hiérarchiser 3 ou 4 idées en partant du plus essentiel vers le moins essentiel… Et seulement ensuite,ils commencent à écrire. Ce qui est sûr, c’est que les élèves manquent de cours de français.
Pour en savoir plus, voir :
Le blog qui a retracé pendant 9 ans les échanges entre les élèves d’Alexandrie et ceux du collège. Ce blog n’est plus alimenté. D’autres publications prennent le relai (articles sur le site du collège ou sur le portail du CDI) : http://defi-lecture.over-blog.fr/